vendredi 6 octobre 2017

Quinze cents kilomètres à travers l'Amérique profonde

John Muir. Surnommé John of the Mountains. On y voit déjà plus clair. Si je vous dis Yosemite, peut-être cela vous parle-t-il encore plus. Pour faire court : ce brave type qui aimait tant marcher et étudier les plantes fut un activiste majeur pour la préservation de la naturalité en divers endroits des USA, comme la Sierra Nevada en Californie. Aujourd'hui, on parlerait d'un écolo engagé. Non, pas l'écolo qui sort le vélo électrique pour faire 600 mètres dans le quartier latin. Mais plutôt celui qui marche des dizaines et des dizaines de km avec une miche de pain et un sac rempli de fleurs ramassées au milieu de la nature la plus profonde. Parce qu'il s'agit de cela ici.

Nous sommes en 1867 et John Muir qui habite dans l'Indiana, a envie de rejoindre le Golfe du Mexique, voire d'aller plus loin en Amérique du Sud.
Le contexte de lendemain de la Guerre de Sécession donne une dimension spéciale à cette longue excursion botanique dans un territoire encore brûlant : Kentucky, Tennessee, Caroline, Géorgie...
Le récit souffre parfois de longueurs lors de descriptions botaniques mais elles sont loin de constituer l'intégralité du texte, et je me suis régalé de certaines de ses réflexions sur la religion et la place des animaux. Quand on sait à quel point la religiosité de ses contemporains devait être pleine et totale dans le Sud des Etats-Unis, l'aspect hors-du-commun de John Muir n'en devient que plus saillant. 4.5/5

jeudi 27 octobre 2016

La Confusion Des Sentiments

Bref roman ou nouvelle ? Qu’importe, cette œuvre se lit, se dévore. L’on est comme attiré, asphyxié par le torrent d’émotions qu’elle contient ! Colère, haine, dégoût, simple peine, tristesse…Tout y passe. Les métaphores se suivent, se répondent, se chevauchent même, tant Zweig cherche à illustrer la tension quasi permanente qui irrigue par flots puissants chaque protagoniste. Particulièrement deux d’entre eux, un jeune homme et son professeur de philologie. Leur relation oscille continuellement, entre chaleur et froideur, admiration et détestation, amour et haine. L’un porte un lourd secret, qu’il freine de son mieux mais que son regard brûlant et ses mains agitées trahissent par moments, l’autre est une âme ingénue mais rayonnante d’énergie physique et psychique.

Noyé dans la confusion des sentiments traversant le jeune homme, je n’ai pas vu passer la centaine de page de cette grande œuvre de Stefan Zweig. La pudeur avec laquelle l’auteur aborde le thème de l’homosexualité pourra surprendre un lecteur d'aujourd’hui, mais la finesse de son style permet de conserver tout l’intérêt de cette lecture. 5/5.

mercredi 26 octobre 2016

Voyage avec un âne dans les Cévennes

Ce récit de voyage figure parmi les premiers écrits publiés de Robert Louis Stevenson.
Nous sommes en 1878, au début de l’Automne. L’écrivain vient tout juste d’être quitté par la femme qu’il aime, Fanny Osbourne, rentrée aux Etats-Unis aves ses enfants afin de retrouver son mari, et avec qui il vient de vivre pendant plus d’un an. Le cœur déchiré, et ayant besoin de matière pour écrire et ainsi être publié (malgré son âge, 27 ans, l’auteur est encore dépendant de son père financièrement), Robert L. Stevenson entreprend une randonnée de 12 jours dans le Sud de la France, dormant à la belle étoile ou en auberge.
Le périple, d’un peu moins de 200 km (correspondant aujourd’hui au GR 70), s’étend de Monastier au Nord (département de la Haute-Loire) à Saint-Jean-du-Gard (département du Gard) au Sud.
Le choix de la région des Cévennes n’est pas anodin, nous sommes en plein territoire camisard, haut lieu de révolte protestante sous Louis XIV au début du 18ème siècle (ce dernier ayant révoqué l’Edit de Nantes qui tolérait une certaine liberté de culte aux protestants en France).
Stevenson, lui-même protestant de naissance porte beaucoup d’attention à cette histoire tout au long du récit, les courageux camisards lui rappelant par certains aspects les covenantaires d’Ecosse ayant eux aussi été persécutés, et dont les récits ont bercé son enfance, sous la houlette de sa gouvernante, très pieuse, avec laquelle il passa beaucoup de temps en raison de sa santé fragile.
Voici donc l’auteur parti sur ce chemin, en compagnie d’un baudet, précisément une ânesse : Modestine ! Sans aucune expérience de muletier (certains passages au début de la mise en route avec le baudet sont hilarants), Robert L. Stevenson va bourlinguer en sa compagnie jour et nuit.
Avec un but en tête ; marcher, toujours marcher, 
« Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour voyager. […] quitter le lit douillet de la civilisation ».
Au fil de son avancée, l’écrivain entre en immersion dans ce pays, dans lequel il est comme entouré, parfois de folklore (le mythe de la bête du Gévaudan est encore vivace), parfois de lieux historiquement riches de par la guerre des Cévennes, ou encore de paysages naturels pittoresques dont la région regorge.
Les villages et les locaux rencontrés constituent pour Robert L. Stevenson l’occasion d’échanger sur les événements passés (la guerre), dont il se passionne, qu’ils soient catholiques ou protestants. C’est avec ces derniers que l’écrivain se sent le plus à l’aise 
« J’avoue avoir rencontré ces Protestants avec plaisir et avec l’impression d’être comme en famille »
Du prêtre au tenancier d’auberge, en passant par le simple promeneur, l’écrivain n’hésite pas à les solliciter, quitte à passer pour un colporteur, par moments en cas de besoin d’aide, à d’autres pour parler la guerre passée.
Les descriptions sont finement dosées et stimulent avec brio notre imagination, comme 
« Ces bouquets d’antiques châtaigniers indomptables pareils à des éléphants attroupés ».
Les nuits passées à la belle étoile comptent parmi les moments de lecture les plus intenses, tant l’auteur prend plaisir à dormir dehors, en cette 
« Vaste chambre […] au vernis d’un noir bleuté entre les étoiles ».
Hélas, cette jouissance trouvée dans l’isolement le plus total ne peut que souligner le manque que ressent l’auteur : 
« Et pourtant, alors même que je m’exaltais dans ma solitude, je pris conscience d’un manque singulier. Je souhaitais une compagne qui s’allongerait près de moi au clair des étoiles, silencieuse et immobile, mais dont la main ne cesserait de toucher la mienne ».
Ce voyage n’apaise finalement pas le jeune écrivain, qui ira au bout de cette route en compagnie de Modestine avec laquelle cette aventure a débuté et à qui seront dédiés les derniers mots de l’auteur du récit.
J’ai pris un grand plaisir à lire ce récit, il me tarde maintenant de découvrir ce GR 70, peut-être l’été prochain si mes études me le permettent, en attendant j’espère que cet article (le tout premier que j’écris) vous donnera envie de le lire !